| Jacques
Carbonneaux : Pouvez-vous nous parler du parcours et des rencontres
qui vous ont amené à devenir luthier et meilleur ouvrier de France
en 1989 ? Jean-Marie
Fouilleul : J'ai eu la chance de grandir dans un milieu familial
où la musique faisait partie du quotidien. Il n'était pas rare de
se réveiller au son d'une fugue de Bach que mon père interprétait
à l'orgue. De plus, la famille était nombreuse et mon père
avait créé une chorale avec les frères et surs; c'est
lui qui officiait en chef de chur. C'était à la fois un travail
sérieux et par moment de franches parties de rigolade. La musique n'a donc
jamais été une corvée, mais bien plus des moments privilégiés
de découvertes et d'épanouissement. De surcroît, il y a toujours
eu à la maison un atelier pour travailler le bois. Mon père est
un fin bricoleur, inventif, qui a lui-même participé à la
réalisation de ses orgues. Dans les années 70, il s'était
mis à fabriquer une épinette (petit clavecin ). Ce fut mon premier
regard sur le monde de la lutherie. C'est donc naturellement que j'ai mis la main
à la pâte dès que l'occasion s'est présentée.
En 1978, j'ai rencontré Bruno Perrin. Après quelques expériences
en lutherie, nous nous sommes installés, en 1980, dans ce qui sera mon
premier atelier, à Barjols dans le Var, avec la précieuse compagnie
de Gilles Mercier. Gilles, qui restera une année à travailler avec
nous, nous a appris ce qu'il connaissait en lutherie (il était ancien élève
de l'école de Mittenwald, et avait repris l' atelier de fabrication de
guitare Grizzo à Paris). Nous avons réalisé nos premières
guitares et prospecté sur toute la France. En 1983, fermant l'atelier
de Barjols avec Bruno, je suis venu m'installer à Rennes, en "solo"
cette fois. C'est là que commence un parcours personnel visant à
la réalisation de mes propres instruments, en utilisant toutes ces expériences
passées. Il m'aura fallu 11 années pour fabriquer ce que je
considérais alors comme la synthèse de ce que j'avais vu, entendu
et fait. J'ai alors osé me présenter au concours des "Meilleurs
Ouvriers de France" en 1989.
Il semble que vous soyez spécialisé en guitare corde nylon avec
deux modèles (LS1 et GC). Cependant, on peut voir dans l'ouvrage "
luthiers et guitares d'en France" que vous réalisez aussi des guitares
cordes acier et électroacoustique. Qu'en est il exactement ?
Depuis les années 90, j'ai effectivement
axé mon travail sur l'amélioration de mes guitares de concert, tant
pour l'enrichissement du timbre que pour la dynamique. Ce qui a aboutit en 1999
au modèle LS1. Mais ma curiosité à comprendre, analyser le
monde sonore (et plus particulièrement celui de la guitare) m'a toujours
poussé à regarder, écouter, ce que faisaient d'autres collègues
(bien sûr en guitare corde nylon; mais aussi en corde acier et même
à approcher l'univers du violon). J'ai donc été amené
à sortir du champ de la guitare dite "classique". Le "cahier
des charges" pour de tels instruments est tout à fait différent
de celui d'une guitare de concert. Et il faut rassembler tous ses acquis, savoir
aussi se faire conseiller, faire preuve d'ouverture et d'attention face aux musiciens
une
belle gymnastique de l'esprit. Pour mes créations de guitares de concert,
je reste persuadé que ces recherches panoramiques, des instruments anciens
(vihuella, guitare romantique) jusqu'aux guitares actuelles, apportent une grande
richesse, permettant une analyse de la genèse du son beaucoup plus fine;
une approche partant du global pour arriver au subtil. |