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Interview d'Emilie Chedid

Interview Emilie Chedid, le 9 décembre 2005

LG : Pouvez vous nous présenter votre parcours professionnel avant le projet des "Leçons de Musique " ?

Emilie Chedid : Depuis dix, quinze ans au moins je réalise des clips et des documentaires. J'ai été assistante mise en scène pendant de nombreuses années. Ensuite j'ai commencé à réaliser des clips : le premier clip de Mathieu Boogaerts qui s'appelle " Ondulé ". J'ai du faire une bonne vingtaine de clips aujourd'hui pour beaucoup d'artistes notamment pour Mathieu Boogaerts…
Je réalise les clips, j'écris les histoires, je dirige les acteurs et les artistes. Je produis et je réalise mes films aujourd'hui au sein de La Bohème Films qui est une petite structure.
J'ai fait des clips pour beaucoup d'artistes : Keren Ann, -M-,Tryo, Pauline Croze. Ce sont des artistes très différents mais en même temps qui restent dans une image de la nouvelle vague française. Ce ne sont pas des artistes issus de la grosse variété française, mais plutôt de très bons paroliers et musiciens.

LG : Comment est né le concept des " Leçons de musique " ?

Emilie Chedid : Le concept est né lorsque j'étais en train de réaliser le tour de -M-. Au delà de la captation de concert qui était le projet le plus important dans le DVD, il y avait beaucoup de bonus à concevoir. Par rapport à un bonus, j'ai proposé à Matthieu qu'on fasse une petite leçon de musique car je trouvais cela assez rigolo. On a eu beaucoup de retours de fans à l'époque où ce petit bonus pour eux était un vrai cadeau à la fois inventif et utile. Cela m'a donné beaucoup d'énergie pour commencer à essayer de monter vraiment des projets particuliers dédiés à des leçons de musique, ce qui a été très difficile car les maisons de disque et les distributeurs sont assez perplexes face à ce projet, dans la mesure où cela ne rentre pas dans une case. C'est un DVD hybride où on fait appel quand même à un artiste ou à un instrumentiste chanteur, un acteur de la scène française important a priori. En même temps, ce n'est ni une captation de concert ni un florilège de tous ses clips ou des choses qu'on voit traditionnellement.
Cela demande les mêmes expériences et les mêmes coûts budgétaires qu'un album car ce sont des versions inédites : on réenregistre chaque morceau. Tout cela a été un peu compliqué à monter. Grâce au succès du premier numéro qu'on a autoproduit et qu'on a distribué en licence chez Polydor, ce projet a vraiment eu de très bons retours. On a eu une victoire de la Musique qui nous a vraiment beaucoup aidés, c'était tellement imprévu. Mon leitmotiv c'est de pouvoir sortir un numéro au moins une fois par an. Cela demande beaucoup de temps : c'est six mois de post production. C'est un énorme truc entre quatre heures trente et sept heures trente de programmes. C'est colossal comme travail.
J'aimerais en sortir un numéro tous les ans pour un peu fidéliser et parce que j'ai l'impression que c'est utile ce qu'on fait. Il y a une démarche de transmission.

LG : Ce concept s'inscrit dans un renouveau pédagogique avec ses nouvelles technologies dvd, cd rom, captations vidéo... Avez-vous été assistés par un professeur de musique ?

Emilie Chedid : On n'a pas été assisté par un prof de musique mais effectivement il y a toute une partie de transcription musicale. Il y a un monsieur très important pour nous, dans les créations de ces dvd, qui s'appelle Patrick Moulou. Il a une société qui s'appelle "bookmakers". Ils sont spécialisés dans tout ce qui est songbook français. C'est lui qui retranscrit la musique à partir de mes vidéos et il fait les partitions qui sont dans le livret du DVD et qui défilent à l'écran. Il réalise les petites clés pédagogiques pour qu'elles soient relativement accessibles à tous, qu'on ne soit pas obligé de connaître le solfège pour comprendre. C'était un vrai désir que j'avais car j'estime qu'on peut avoir beaucoup d'oreille sans connaître le solfège.

LG : Quelles ont été les plus grosses difficultés rencontrées dans la réalisation des deux DVD ?

Emilie Chedid : On se confronte à une réalité économique grandissante où bien sûr même si on a des très bonnes idées comme celle-ci (parce que c'est une très bonne idée, sans orgueil mal placé) les gens disent qu'il y a 15 ans, ils en avaient déjà eu l'idée ! Sauf que je comprends pourquoi personne ne l'a fait car c'est très pénible à monter. Pour faire un DVD on est obligé de travailler pendant un an comme des brutes.

LG : Parce qu'il faut un an pour faire un DVD ? !

Emilie Chedid : Il faut entrer en contact avec un artiste puis avec sa maison de disques. Ensuite on voit si sur le plan financier c'est possible ou pas. Il peut s'écouler entre trois et cinq mois. Après c'est très compliqué pour concrétiser un contrat. A la fois on touche aux droits d'auteur, aux lignes éditoriales… on doit demander une autorisation à la maison de disques. C'est-à-dire que la maison d'édition et la maison de disques sont en jeu, l'artiste évidemment est au milieu de cela ensuite il y a nous, nos distributeurs et nos points de ventes. Tout le monde est très gourmand face à cela. Quoiqu'il arrive ce projet coûte très cher et il est difficilement rentable. Il faut en vendre quarante cinq mille exemplaires si ce n'est plus pour arriver au point mort, ce qui est colossal aujourd'hui. C'est une collection à part. Il s'agit plus d'une collection de prestige et de passion aussi. "La bohème films" qui est une structure artisanale a beaucoup de mérite dans la mesure où cela demande une énergie énorme. Sans orgueil mal placé c'est juste que c'est beaucoup de travail pour pas beaucoup d'argent en définitive.

LG : Quels sont les artistes que vous souhaiteriez voir participer aux prochains DVD ?

Emilie Chedid : J'ai une liste colossale qu'on met à jour régulièrement de plein de choses. On fait nos armes. La guitare est un instrument très fédérateur que les chanteurs utilisent beaucoup en règle générale. J'aimerais faire des leçons avec des pianistes : ce serait le deuxième instrument de prédilection. Sinon par rapport à la liste il y a des tonnes de gens, beaucoup de gens. A quoi cela sert de les citer dans la mesure où il y aura un par an a priori ?

LG : A présent pour le prochain vous ne savez pas ?

Emilie Chedid : Le prochain il y a des possibilités mais je ne peux pas vous dire. En fait on sera vraiment fixé fin février. Il y en a plusieurs mais tant que ce n'est pas contractuel, je n'aimerais pas commencer à citer des choses qui ne seraient pas dans le bon ordre et commencer à me piéger. Parce que c'est tellement difficile à monter, je n ai pas envie qu'ils apprennent sur le site "tiens ton prochain tu le fais avec machin" alors que je le ferais peut être avec quelqu'un d'autre. Je ne veux pas de cela.

LG : Est-ce que vous auriez des anecdotes marrantes sur les deux phases d'enregistrements des DVD ?

Emilie Chedid : C'est vrai que le premier DVD des leçons de musique on l'a fait de façon "home made". Personne n'y croyait à l'époque. Mon frère Matthieu était le seul à y croire et c'est grâce à lui que cela a existé et parce qu'il m'a donné une semaine de sa vie gratuitement à l'époque en me disant : "on le fait !".

On a enregistré pendant une semaine. On a tourné cela dans un studio à la campagne. Un matin au petit déjeuner je dis à Stéphane qui travaille avec moi : "j'adorerais que Matthieu te donne un cours de guitare". Stéphane est l'assistant de production et est comédien. Il n'a jamais touché une guitare de sa vie, c'est vérité totale.
Stéphane (présent lors de l'entretien nldr) : "Ah oui !"

Emilie Chedid : Ce petit bonus a été super drôle. Il a été tourné dans l'improvisation totale : on était pliés en douze parce que ce qui était très drôle c'est qu'à la fois, au-delà de ses velléités de comédien où évidemment il a un sens de la repartie, il s'était vraiment mis dans le personnage du mec complètement nul qui ne sait rien faire. Il y a un vrai comique de situation auquel on croit. A l issue de la sortie du DVD beaucoup de gens se sont dit : ''oh là là ! Ce mec qui prend un cours avec Matthieu, mais il est génial !'' Cela fait partie des très bonnes surprises et des anecdotes rigolotes. Nous l'avons fait un peu "private joke" en pensant que cela n'allait faire rire que nous et en définitive cela a fait rire pleins de gens.
Pour Maxime, le grand moment qu'on a vécu est aussi pour les bonus. On se retrouve en studio, il fait deux trois versions et tout d'un coup sa voix déraille. Tout cela est en direct il n'a pas de réplique comme sur un album où on peut "tricher" et retoucher. C'est très franc du collier, c'est très courageux pour un artiste de jouer ce jeu là, parce qu'à la fois on peut faire des fausses notes à la guitare et à la voix. Il faut être suffisamment armé pour lâcher prise sur le truc totalement perfectible car on ne peut jamais être parfait dans ces cas là. C'est une très jolie leçon à donner aux jeunes que de leur montrer que des artistes confirmés font des fausses notes. On l'a laissé, c'est intentionnel. Ce sont toutes les fragilités dans le direct qui sont belles.
Pour Maxime le moment fort dans les bonus qui n'est que sur le double DVD la série limitée est un bonus exceptionnel : on a rencontré "Gibraltar" Pierre Onteniente, qui a été le secrétaire particulier de Georges Brassens pendant toute sa vie. C'est un monsieur qui doit avoir pas loin de quatre-vingt-dix ans aujourd'hui, un mec génial humainement.
Il nous a ouvert sa maison. C'est un moment très beau que je garderai toute ma vie parce que ce monsieur nous a donné quelque chose d'exceptionnel.

LG : Est-ce que les prochains DVD garderont la même structure pédagogique ou est ce qu'elle va évoluer, car il semblerait que les bonus eux vont évoluer en fonction de l'artiste ?

Emilie Chedid :
Les bonus sont tout à fait libres par rapport à l'artiste c'est à dire que je me les réserve. Pour Maxime qui chante des chansons de Brassens, on a axé les bonus sur le langage et l'écriture. On a fait appel à un linguiste qui s'appelle Louis Jean Calvet qui est aussi biographe, et a fait entre autre une biographie sur Brassens qui est très bien
L'écriture de Brassens est assez exceptionnelle, les mots, le vocabulaire... Même les adultes ne savent pas la signification de certains mots. Même moi, j'ai appris énormément de choses; j ai fait des relevés de mots un peu difficiles et de toutes les chansons. On a fait un dictionnaire là dessus. On a fait des explications de textes avec Maxime et Louis Jean qui expliquent les tournures des mots.

LG : Donc il n'y a pas que l'instrument qui a été mis en valeur il y a aussi le texte …

Emilie Chedid : Le texte et la composition. On a toujours tendance à penser que Brassens avait des compositions très naïves et très simples à la guitare. La référence c'est toujours le Gorille avec ré, la, ré, la pendant quatre heures et en fait non.

LG : Il faut le chanter aussi …

Emilie Chedid : Il faut le chanter ! Brassens écrivait au départ, il ne voulait pas du tout être sur scène mais il voulait écrire pour les autres. Par des concours de circonstances, qu'on découvre sur le DVD, il a fini un jour par passer sur scène et cela a été un énorme tabac parce qu'à l'époque il était très subversif. Il y a eu plus de quinze chansons de Brassens qui ont été interdites et censurées à l'époque. Au départ, il était très mauvais musicien. Nous, on a trié les douze chansons. Elles sont triées par ordre chronologique. Ce qui est très drôle, c'est de voir ses progressions à la guitare. A la fin, il fait des arpèges alambiqués, cela devient vraiment de la grande musique. C'est de la grande guitare. C'était aussi pour montrer que Brassens est un grand guitariste et Maxime un grand guitariste. Maxime s'est imprégné de ses chansons et il les chante depuis plus de dix ans. Il le fait très bien et de façon très humble. Sa voix est extraordinaire. Il y a une envie de transmettre, une envie de remettre en mémoire qui est Georges Brassens pour tous ces jeunes. Il y a plein de gens qui ne savent plus qui est Brassens.
Quand on relit des textes on se rend compte que c'est quelqu'un qui a pris des risques énormes. Il a dit des choses très graves et très drôles, très cyniques et très subversives.
Je trouve que c'est un empêcheur de tourner en rond, si on le remet dans son époque.

Pour en revenir au DVD … Je pense que c'est un DVD qui se garde, qui se transmet de père en fils c'est un peu comme un bouquin. J'ose imaginer que c'est un peu comme un bouquin, que c'est un truc qui se prête, se donne ou s'échange. J'ose imaginer que des cinquantenaires qui jouent de la guitare vont peut être acheter le DVD de Maxime et vont dire à leurs enfants et leur petits enfants : "tu as envie de jouer de la guitare ? Tiens …"

LG : C'est un projet qui vous prend tout votre temps ?

Emilie Chedid : Non je fais d'autres choses quand même. Je continue à faire un peu de pub, des clips et pas mal de choses à côté parce que cela me fait plaisir.
Peut-être qu'un jour je passerais au long métrage, car j'adore raconter des histoires. Je suis une personne de la fiction, j'aime travailler avec des acteurs. En ce moment je mets en scène une pièce de théâtre.
Sur "les leçons de musique", j'ai un souci du détail, du fond de couleur qui va être derrière Matthieu ou Maxime, je vais faire de petits décors… J'ai envie à la fois de respecter l'univers de l'artiste avec qui je fais ce projet, d'être cohérente et aussi que ce soit beau. Je n'ai pas envie de faire des leçons de musique pour faire des leçons de musique. J'ai envie de faire des jolis produits qu'on a envie de regarder. J'avais envie que ce soit agréable à regarder même pour ceux qui ne font pas de musique.

Lire la version longue de l'interview

- Le site de La bohème films

Emmanuelle Libert et Jacques Carbonneaux - Retranscription : Emmanuelle Libert, Marianne et Marie-Victoire