Interview de Steve Baughman
(Par Dominique Rivière - traduction par G. et J. Chosalland)

- Bonjour Steve, où habites-tu en ce moment ?
- J'habite à San Francisco, l'une des capitales de la musique irlandaise aux Etats-Unis. Mais je suis né à la Trinité aux Caraïbes j'ai passé mon enfance là-bas et dans le Sud-Est de l'Asie. Je suis d'abord parti aux Etats-Unis en 1977 avant de vivre plusieurs années en Chine. Comme vous pouvez le constater, mes origines géographiques sont assez compliquées.

- Et ton parcours musical?
- A cause de mon éducation, j'ai écouté assez peu de musique américaine ou irlandaise étant enfant mais plutôt Harry Belafonte par exemple, l'immense chanteur jamaïcain. Adolescent, j'ai découvert le "bluegrass" et la musique country. Je ne suis tombé amoureux des musiques irlandaise et celtique que longtemps après mon installation aux Etats-Unis.

- Tu as développé plusieurs techniques particulières comme le "frailing" (1) ou le "mft". Est-ce que tu peux nous dire d'où vient le nom "mft"?
- Dans mon bouquin, ce que j'appelle le "frailing", c'est d'abord une technique du banjo décrite par Pete Seeger dans son livre sur le banjo comme le "basic strum". En fait, ça n'est pas exactement ce que les joueurs de banjo appellent eux le "frailing". Ma technique est vraiment très simple et très intéressante puisque on a le pouce sur le "upbeat" au lieu du "downbeat". Cela crée un merveilleux son appalachien, comme celui que l'on retrouve dans la musique d'Amérique du Sud. C'est simple à apprendre et je prédis que de nombreux guitaristes emploieront cette technique d'ici une dizaine d'années.
Le "mft" est simplement le "middle finger thwak" qui est une technique percussive que j'utilise pour accentuer certaines notes. Je l'ai apprise du grand guitariste britannique Martin Simpson, bien que la méthode m'ait été d'abord présentée par un guitariste français dont j'ai oublié le nom.

- Tu joues avec différents accordages (tunings). Quels sont tes préférés?
- Mon préféré est de loin le "orkney" (C G D G C D). C'est le seul accordage modifié que je connaisse, autre que le DADGAD, qui permette de jouer sur plusieurs tons. C'est également beau pour la guitare solo, l'accompagnement pour le chant, le blues, les chœurs, et pas mal de choses. C'est un merveilleux accordage qui n'a pas encore été découvert par le monde de la guitare.

- En ce qui concerne la mélodie, penses-tu que le fait d'écouter d'autres instruments traditionnels t'aide pour les arrangements?
- Pas simplement pour l'arrangement, mais pour l'ensemble. Le conseil le plus important que je donne à mes étudiants guitaristes c'est: "écoutez Martin Hayes", le grand violoniste du Comté du Clare (irlandais).
Bien sûr, mon but est d'écouter d'autres instruments et pas simplement Martin Hayes. En écoutant des maîtres d'autres instruments, que ce soit le violon (fiddle), la cornemuse ou le saxophone, on intériorise le rythme musical. Ce n'est qu'après avoir intériorisé ce sentiment (je suppose que c'est comme si on le sentait grandir dans nos cœurs) qu'un guitariste peut jouer magnifiquement. Trop de guitaristes aujourd'hui ne sont que des guitaristes et non des musiciens. Ils écoutent principalement de la guitare et ne comprennent pas vraiment les autres instruments. Ceci pose un vrai problème aux Etats-Unis. La plupart des musiciens qui jouent aux doigts manquent de profondeur dans leurs styles.

- Quelles sont tes guitares ?
- Je joue sur une Rosewood traditionnelle de James Goodall (de Hawai) ainsi qu'une " 12 frettes " brésilienne qui a été customisée, réalisée pour moi par un luthier californien nommé Lance Mc Collum. J'ai également une 7 cordes de Lance.

- Pour les cordes, je suppose que tu conseillerais un fort tirant pour l'accordage "orkney" ?
- L'accordage " orkney " est facile avec des cordes medium. J'utilise une 56 sur la 6eme corde. Ca marche bien.

- Tu es l'auteur de nombreux livres d'enseignement et également de nombreux CD. Peux-tu nous en faire un petit inventaire et nous dire où et comment les acquérir ?
- Mon livre le plus important s'intitule "frailing the guitar" aux éditions Mel Bay. J'ai également fait un livre sur les chansons de Noël à jouer en open tuning, toujours aux Editions Mel Bay. Ces livres se trouvent également sur le site internet www.melbay.com. Mes deux CD de guitare solo sont chez "solid Air Records" - www.solidairrecords.com. Le premier s'intitule "a drop of the Pure". Enfin, avec Pierre Bensusan, nous avons réalisé une vidéo de "Rounder Records".

- Je suppose que tu as une activité artistique intense (concerts, master-class…) ?
- J'ai pas mal de projets en cours. Je suis en train d'enregistrer un album de duos de guitare irlandaise avec Robin Bullock, un sacré guitariste de fingerpicking et de flatpicking qui vit actuellement à Paris. Je travaille aussi sur un nouvel album solo pour l'année prochaine qui sera composé d'un certain nombre de morceaux bretons. J'ai écouté beaucoup de musique bretonne depuis 5 ans et elle est rentrée directement dans mon cœur , en tout cas, assez pour qu'elle sorte maintenant de ma guitare. Je prépare également une vidéo qui apprendra aux guitaristes comment utiliser la méthode de " banjo-frailing " sur une guitare. Ca sortira en 2003.

- Connais-tu des guitaristes français ou des musiciens bretons ?
J'adore la musique jouée par Kornog et aussi le groupe Storvan. Un de mes albums de musique bretonne préféré est un album de duos entre une bombarde et un biniou-koz fait par Jean Baron et Christian Anneix. Evidemment, j'apprécie aussi énormément la musique de Soig Siberil et Pierre Bensusan.

- Aura-t-on le plaisir de te voir en Europe bientôt ?
J'ai été invité à un festival de guitares en Sicile et j'aimerais également jouer en France aussi vite que possible. J'aimerais voir comment les français reçoivent ma musique quand je joue des morceaux français.

- Merci Steve !
- C'était un plaisir !, bye.

(1) "FRAILING"

C'est une technique dérivée du banjo clawhammer. La technique de la main droite consiste à replier le majeur à l'intérieur de la main et de déployer ce même doigt énergiquement " la trajectoire doit être courte" pour attaquer la corde voulue avec le dos du doigt " l'ongle" et l'effet obtenu doit-être percussif, entre le son de la note et la percussion. Veillez à ce que l'effet soit le plus propre possible, travaillez sur toutes les cordes, le rendu étant un peu plus difficile sur les basses. Autre particularité: employez cette technique sur les temps faibles, le résultat est saisissant et très aérien ; largement utilisé par STEVE BAUGHMAN, autre adepte du frailing.
L'index quant à lui doit se tenir légèrement en dessous du point d'attaque du majeur pour pouvoir jouer la corde au dessus.

Source : http://membres.lycos.fr/acousticmusic/techniques/technique.html#frailing (Dominique Rivière)