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Pat Metheny Trio
Falls Church, Virginie, Etats-Unis
le 15 Fevrier 2006

Programmé dans ce club restaurant perdu dans une banlieue de Washington DC, le guitariste à la marinière se produisait lors de deux concerts (le premier à 18h, puis à 21h).
C' est en l'occurrence au premier que je me suis rendu, pour admirer, pour la première fois, ces musiciens - qui font l'unanimité à la fois chez les connaisseurs et dans le grand public. Le lieu est charmant : il s'agit d'un ancien cinéma des années 30, ce qui donne au bâtiment un cachet d'exception (les édifices anciens sont rarement conservés aux Etats Unis). L'intérieur est tout aussi typique : style " Art Déco ", grandes plantes derrière la scène. On s'installe sur de simples chaises, assez rapprochés les unes des autres pour optimiser la place, ce qui laisse présager peu de confort. Les personnes qui ont réservé pour dîner s'installent à des tables. Il y a un balcon pour des fauteuils plus confortables. L'avantage des chaises : elles se situent au bord de la scène, à quelques mètres des musiciens.
Le concert commence, le public est moyennement silencieux tout en mangeant et buvant... Metheny rentre seul sur la scène, avec son style habituel : jean / t-shirt / baskets. Il est souriant, mais regarde peu le public, on ressent sa concentration. Il joue deux morceaux avec la guitare " baryton ", spécialement conçue pour s'accorder de la façon suivante : La Ré Sol Do Mi La, c'est à dire une quinte en dessous de l'accord normal avec le Sol et le Do un octave au dessus (ceci est rendu possible avec une longueur au diapason plus longue et des cordes graves plus grosses). La technique qu'il a développée avec ce type d'accords est un jeu simultané de la basse (toniques et quintes sur les cordes graves), avec le jeu de la mélodie en accords. Le son est ample, la main droite est puissante et l'intensité musicale est maximale dès les premières minutes. Le guitariste nous entraîne dans un monde musical intimiste très vivant, prenant de nombreux risques dans l'improvisation et dans la technique. A tel point qu'une légère erreur le fait vaciller et qu'il perd légèrement confiance. Mais peu importe, le guitariste est sensible, et la force de sa musique réside dans son expressivité à fleur de peau. Pendant une dizaine de minutes la tension monte dans ce récital acoustique lors de morceaux : Song For The Boys et un nouveau morceau sans titre dédié aux Etats sinistrés du cyclone Katrina. Metheny enchaîne en attrapant sa " guitare Pikasso " pour une intro assez travaillée de So It May Secretely Begin aux sonorité de luth, sitar et de harpe.
A la fin de cette intro très colorée, Chistian McBride et Antonio Sanchez entrent en scène. Le leader empoigne son Ibanez (copie de la mythique ES 175). Le son du groupe est homogène, très terrien. L'exposition du thème est vivante, pleine de trouvailles et d'interaction. L'ensemble est très frais, les musiciens s'appliquant à ne pas tomber dans des automatismes et s'investissant à 100% dans le son du groupe desservent la composition. Metheny joue avec son thème, en explore toutes les possibilités et tourne en dérision l'apparente simplicité du morceau basé sur une gamme pentatonique. Il rentre dans son chorus avec toute l'inventivité musicale possible : il improvise avec brio et part dans toutes les directions : il brode des mélodies diatoniques hors tonalité à la Ornette Coleman. Il construit un solo structuré, dans lequel l'énergie est intelligemment distribuée. Après ce passage, le trio se lance dans l'interprétation d'un thème complexe, écrit récemment par Metheny. Les changements d'accords de ce " n° 13 ", donne l'occasion au guitariste de démontrer sa capacité à improviser sur une grille difficile un solo cohérent et mélodique. Ce morceau au feeling latin module en permanence et représente à lui seul un défi pour les improvisateurs : le solo de Mc Bride démontre sa capacité à improviser avec décontraction et force. De son côté Sanchez commence à rentrer dans une sorte de transe rythmique : ses choix surprennent à chaque instant : on a l'impression de n'avoir jamais entendu un batteur qui joue de cette façon ! Il possède un feeling corporel qui fait penser à la danse, allié à une technique fracassante. Suit la composition methenienne par excellence : Sirabhorn, qu'il joue assez classiquement, comme dans l'album Bright Size Life qui date de 1976. Antonio Sanchez fait preuve d'une précision rythmique diabolique, d'une solidité à toute épreuve, il possède un jeu droit et équilibré. Mc Bride produit un chorus sage et propre, et cite des phrases assez proches de l'original de Jaco Pastorius dans l'enregistrement. Le morceaux termine assez maladroitement, les musiciens improvisent sans savoir où ils vont sur un riff. Les musiciens se lancent dans l'interprétation du très célèbre James, mais ne se contentent pas d'une simple lecture du thème, le leader entraînant ses collègues dans des audaces rythmiques osées. La mélodie initiale en sort transformée et la sauce prend quand les chorus commence. Essai transformé : le trio entraîne le public. Le groupe enchaîne sur un tempo ultra rapide : What Do You Want, un thème basé sur " rhythm changes ". A partir de ce moment les musiciens jubilent et donnent le meilleur d'eux-même, l'interaction rythmique entre Sanchez et Metheny est à son comble, McBride attend son tour et nous produit un solo virtuose. Pour finir, le groupe interprète une balade, ainsi que le classique Question and Answer, et son solo de guitare synthé qui propulse le groupe dans des sonorités free. Le batteur emmène le groupe et la musique atteint des sommets d'abstraction. Metheny est à son apothéose et son jeu est vraiment sincère, on sent qu'il aime la musique qu'il produit, autant dans le respect de ses influences que dans la volonté d'innover en permanence.
On ressort d'un tel concert assez confus : autant voir de tels musiciens est rare, et cela reste un moment exceptionnel, autant on sent les contraintes que les salles de concerts américaines imposent : un timing millimétré, un souci d'accessibilité, qui enferme les musiciens dans une sorte d'obligation de résultats. Il faut comprendre que les spectateurs viennent passer une soirée entre amis, et que le concert reste une attraction secondaire. Résultat, les nuisances sonores sont assez nombreuses et l'ambiance peut paraître tendue pour qui n'est pas habitué. Pour preuve, ces musiciens avouent souvent préférer jouer en Europe, en y trouvant un public plus réceptif. Dans ce pays, le concert de jazz n'a pas la même dimension qu'en Europe. Dans nos contrées, le jazz est écouté religieusement, le public étant sensible à la musicalité et au côté " sophistiqué " inhérent à cette musique. Aux US, la notion de performance est mise en avant, dans un show rythmé et efficace, les musiciens doivent avant tout faire démonstration de leur technique et l'intensité doit être au rendez vous. Il faut que ça " chauffe "! Malgré tout, cela reste une expérience intéressante, Metheny est un musicien singulier et sincère et ses prestations en trio sont toujours mémorables. A noter que ce Trio a acceuilli David Sanchez au saxophone ténor en 2005 lors de la première partie de la tournée, avec un résultat au moins aussi explosif !

Pat Metheny : guitares
Christian McBride : Contrebasse
Antonio Sanchez : Batterie

Emeric Auger