Le modèle grand auditorium de la nouvelle série 600 présentée au Winter NAMM 2015 passe au banc d'essai de LaGuitare.com. Découvrons ensemble cette Taylor 614ce

« Quand un luthier est né pour faire des guitares et se forme tout seul, il apprend beaucoup de choses précieuses qu'on ne peut lister. Il apprend des choses en travaillant aussi bien dans sa boutique à minuit ou le matin de Noël parce qu'il n'a pas d'autre choix. »

A lire ces quelques mots, on penserait qu'ils ont été écrits par un luthier artisan et pourtant, ces propos ont été tenus par un luthier devenu industriel et pas des moindres, puisqu'il s'agit de Bob Taylor des Guitares Taylor qui répondait à une de mes questions concernant l'embauche en 2012 du luthier Andy Powers dans l'équipe de la firme américaine (à lire ici). Et c'est justement Andy Powers, en collaboration avec Bob Taylor, qui a initié cette nouvelle série 600 dont je vous présente aujourd'hui le modèle 614ce.

 
Le test a été réalisé avec les cordes Elixir nanoweb 80/20, phosphore-bronze 12-53

Démonstration de la Taylor 614ce par Eric Gombart - VERSION ACOUSTIQUE

Démonstration de la Taylor 614ce par Eric Gombart - VERSION ELECTRO-ACOUSTIQUE

Démonstration de la Taylor 614ce par Eric Gombart - VERSION ACOUSTIQUE & ELECTRO

L'érable : le renouveau

Comme vous pouvez le lire dans l'interview de Bob et d'Andy, le souci de la firme, produisant des milliers de guitares par an, a été de trouver des bois de substitution aux essences tropicales en voie de disparition. En partenariat avec Steve McMinn de Pacific Rim Tonewoods, Bob Taylor s'est lancé dans une vraie croisade et l'idée de remettre l'érable comme une essence de référence dans ses modèles de guitares s'affirme haut et fort à travers la série 600.

Si l'érable est l'essence de prédilection pour les instruments du quatuor depuis toujours, il n'est pas inconnu en facture guitare, surtout arch-top, puisqu'il a toujours été présent, autant dans la production artisanale qu'industrielle. Cependant, il n'a jamais eu le succès des palissandre, acajou et autres essences tropicales et la production de guitares en érable est toujours restée bien inférieure par rapport aux autres. Remarque : Nous parlons ici des bois de tonalité utilisés pour le dos et les éclisses (les bois de résonance étant les résineux comme l'épicéa et le cèdre).



Quand on lit les propos écrits il y a plus de 20 ans et tirés du site d'un de nos plus grands luthiers en guitare folk, Alain Quéguiner, on peut déjà apprécier que la volonté de Taylor d'utiliser plus fréquemment l'érable, ne soit pas un coup marketing : «…Passons maintenant à un nouveau venu dans le domaine de la guitare folk, l'érable ondé. Ce bois, utilisé depuis des siècles dans la fabrication des instruments du quatuor (du violon à la contrebasse) souvent sous sa variété sycomore et également omniprésent dans les guitares de jazz, a gagné peu à peu sa place en guitare acoustique. De couleur pâle avec des ondes très marquées, il se prête avec bonheur aux teintes les plus variées, du miel ombré au sunburst le plus raffiné. Associé à un manche lui aussi en érable ondé, il apportera un surcroît de sustain et de définition en aigu. Sa puissance comparable à celle du palissandre en fait un concurrent remarquable, une alternative à étudier ».

Le choix de Taylor de redonner à cette essence un rôle prépondérant dans la production de ses guitares ne peut être que salué et le résultat, avec cette 614ce, est plus que prometteur.


Personnalisation du barrage et des épaisseurs du dos et de la table

Les épaisseurs de la table et du dos ont été spécialement calibrées pour chaque forme de corps des modèles. Il en est de même pour le barrage (dos et table) qui est adapté à la forme et aux spécificités de l'érable pour en améliorer la réponse. Il est en effet étonnant d'observer le barrage du dos et comme le confirme Andy Powers : « Le dos de ces guitares fonctionne un peu comme une guitare arch-top ou un violon à qui on aurait supprimé l'âme. Ces barres permettent au dos de se déplacer de façon à obtenir une plus forte projection et plus chaleureuse. Les joueurs pourront entendre plus de volume, plus de projection, et plus de chaleur dans les basses qu'avec une guitare en érable qu'ils ont pu entendre dans le passé ». Les barres ainsi que le chevalet sont collés avec une colle protéique.



Torréfaction


Comme je l'ai écrit après le Winter NAMM 2015, Taylor se met également à la mode de la torréfaction des tables d'harmonie en Sitka. Pour faire court, car j'ai déjà écrit à plusieurs reprises sur le sujet (voir liens en bas de page), le principe est de faire vieillir artificiellement la guitare afin d'en obtenir un son plus ouvert et plus chaud. La torréfaction brise la lignine du bois comme le fait naturellement le jeu quotidien du musicien. Une observation sur plusieurs années est indispensable pour affirmer si ce processus est viable ou pas. De plus, beaucoup de nouveautés ont été apportées sur cette série, bien trop pour juger précisément de l'impact de chacune d'entre elles dans la sonorité. Pour déterminer la pertinence d'un changement, d'une amélioration ou d'une innovation sur un instrument, il est nécessaire d'apporter un seul changement à la fois, en gardant identiques les autres composants et assemblages.

Cependant, on peut déjà constater qu'une guitare neuve équipée d'une table torréfiée ne sonne pas comme une Vintage. Je peux vous le confirmer pour avoir testé la 614ce et d'autres guitares ayant subi ce procédé (Boucher, guitares de luthiers) en les comparant à différentes Vintage de 20 ans, 32 ans et 40 ans. Si certaines marques usent et abusent de cet argument, il n'est que marketing, sachez-le. Je reviendrai plus en détails sur ce point dans le chapitre son, car la torréfaction a bien un impact dans la sonorité.

Vernis et couleur

Tout comme la série 800, l'épaisseur du vernis gloss de la série 600 est ultra-fin. Afin d'harmoniser la finition générale de la guitare au ton brun de la table d'harmonie du à la torréfaction de l'épicéa, une teinte « Brown sugar » a été appliquée à la main.

Au final et concernant l'aspect lutherie de la 614ce, nous sommes ici face à la perfection industrielle. Tout est cruellement parfait tant sur la fileterie que sur la construction et l'assemblage de chaque pièce de l'instrument.

La table en épicéa de Sitka est dotée de veines assez larges et la torréfaction appliquée n'enlève aucunement la beauté des très jolies moirures ainsi que les « griffes d'ours » de cette pièce de bois. La nacre choisie pour la rosace est fine, contrairement à ce qu'on a l'habitude de voir sur les guitares américaines industrielles. Le dos et les éclisses en érable flammé sont teintés « Brown sugar » et le dos change d'aspect en fonction de l'angle de vue adopté. L'ensemble est de toute beauté et magnifié par une fileterie particulièrement bien réalisée. Le manche est également en érable mais doté d'un vernis satiné.

L'ébène est présent sur tout l'instrument, que ce soit sur la touche, le chevalet, les chevilles, la plaque de tête, la plaque d'accès au truss rod, le pickguard et la fileterie, le côté sombre de cette essence transcende l'aspect visuel général de cette 614ce. Mais autant d'ébène, est-ce bien raisonnable et est-ce cohérent avec la nouvelle politique d'exploitation durable des essences tropicales préconisée par la marque ? La réponse se trouve dans l'interview de Bob Taylor et d'Andy Powers, dont voici un extrait :

« Ebène au Cameroun : À la fin de 2011, Taylor Guitars et Madinter Trade, SL, un distributeur international de guitares et de bois de lutherie, se sont associés pour acheter Crelicam, une usine de bois d'ébène située à l'extérieur de Yaoundé, au Cameroun. Les nouveaux propriétaires partagent la même vision avant-gardiste quant à l'acquisition et l'usinage du bois d'ébène, en offrant à la fois l'investissement et l'enrichissement de la communauté locale afin d'assurer que l'ébène soit légalement récolté, et de façon durable.
«Nous devons utiliser le bois d'ébène que la forêt nous donne», souligne Bob Taylor, qui a personnellement rencontré un certain nombre d'autres fabricants de guitare de premier plan depuis l'achat de Crelicam pour faire connaître les nouvelles réalités concernant les ressources d'ébène. Les conditions actuelles ne signifient pas que les jours "noirs" de l'ébène ont entièrement disparu, il est donc indispensable d'assurer un approvisionnement durable du bois d'ébène pour les générations futures d'instruments et de joueurs et d'adopter une plus grande diversité dans le choix des essences.
».

Le confort

D'un format grand auditorium avec un pan coupé vénitien assez arrondi, la prise en main de cette guitare est naturelle mais son grand point fort est le manche. Avec 44,45 mm de large au sillet de tête, un profil en C assez arrondi et un vernis satiné, on se sent à l'aise de suite. Malgré un réglage d'usine assez haut de l'action, ce manche est une véritable autoroute !

Le son acoustique

Si le confort de la 614ce est excellent et la prise en main pratiquement instantanée, les guitaristes qui ne sont pas habitués aux Taylor devront s'adapter, non pas à la jouabilité de l'instrument mais à l'univers sonore qu'il est nécessaire d'appréhender progressivement afin de trouver l'attaque idéale à la main droite pour obtenir de cette guitare toutes ses qualités acoustiques.

Avec ce modèle, nous entrons dans l'univers très particulier et unique du son Taylor. Depuis la série 800, le son des belles américaines a gagné en dynamique. Le côté très flatteur et généreux de l'ensemble de la tessiture de l'instrument surprend dès les premières notes. 

Revenons ici sur l'impact d'une table torréfiée dans la sonorité de l'instrument. Après en avoir parlé avec certains luthiers utilisant ce procédé depuis plusieurs années, j'ai pu recouper leurs propos avec ce que j'ai pu constater lors de ce test de la 614ce.

Les différentes expériences ont mis en évidence qu'une guitare dotée d'une table traitée voit sa tessiture se décaler vers les fréquences basses et développer une projection plus importante. Il faut préciser que les différents procédés d'altération artificielle des fibres du bois ne donnent pas les mêmes résultats. Un reportage complet s'impose sur ce procédé devenu à la mode chez les fabricants, qu'ils soient artisans ou industriels. A suivre donc dans un prochain reportage sur LaGuitare.com.

Une guitare avec un manche, dos et éclisses en érable, comme notre 614ce, favorisera, de part cette essence de tonalité, les fréquences aigües. Ici cependant, les basses sont profondes avec même cet effet « boomy » qui fera le bonheur des uns mais pas des autres ! Ce changement de tessiture est-il du à la torréfaction de la table ? On ne peut l'affirmer à 100%, juste le supposer, car comme je l'ai écrit plus haut, bien trop de nouveautés ont été appliquées sur cette série pour en recenser l'impact précis sur la sonorité de l'instrument.

Les aigües sont tout de même bien mises en valeur grâce à l'association de l'érable pour le manche et la caisse (dos et éclisses) mais sont plus chaudes et moins dominantes. Le sustain gagne également avec le tout érable (manche et corps). Des cordes neuves et de plus Elixir, exagèrent peut être cet effet de brillance très présent sur cette Taylor mais il n'en reste pas moins que pour une guitare « érable », l'objectif d'Andy Powers est atteint : « … Les joueurs pourront entendre plus de volume, plus de projection, et plus de chaleur dans les basses qu'avec une guitare en érable qu'ils ont pu entendre dans le passé… ».

Le rebond est impressionnant et la 614ce réagit avec précision et générosité, quelle que soit l'attaque de la main droite.
Le travail réalisé sur le barrage de la table, du dos, combiné au traitement de torréfaction de la table semble produire une guitare dotée d'une caisse de résonance particulièrement performante et réactive. Le jeu aux doigts est sublimé dans toute la tessiture et sur tout le manche tandis que le strumming fait perdre à la belle un peu de ses fréquences les plus basses pour se positionner plus dans les médiums et haut-médiums. Quand on la pousse encore plus loin en strumming, façon rock, elle offre une sonorité « claquante » très agréable et punchy qui sied à merveille à ce style !

Son point fort est le note à note, que ce soit en finger picking ou flat picking. Elle est d'une précision redoutable et ne pardonnera pas les erreurs de jeu.

Le son électro-acoustique

Des efforts ont également été réalisés, sous la direction de David Hosler, sur le système embarqué avec une version 2 de l'expression system. Comme vous pouvez le constater sur la photo (ci-dessous), le traditionnel capteur piezo installé entre le sillet et la gorge du chevalet a été remplacé par trois capteurs positionnés à la perpendiculaire de la table. Le résultat est sans appel comparé à l'ancien procédé. Les sonorités sont plus chaudes et se rapprochent bien plus fidèlement de l'acoustique de l'instrument. Cependant, la présence des basses sur ce modèle devra être maîtrisée avec le système d'amplification car en électro-acoustique, l'effet boomy des basses est trop imposant.

Conclusion :

Les guitares Taylor ont toujours été critiquées pour leur son « froid » que je qualifierai plutôt de « neutre » par rapport aux folks traditionnelles comme Martin. Cependant, depuis la série 800, on ne peut que constater une nette évolution dans la texture sonore des différents modèles, marquant ainsi un véritable tournant dans le positionnement de la marque vis à vis de ses concurrents.

Mais que les choses soient bien claires, cette Taylor 614ce ne sonne pas comme une Martin ou autre folk typée « folk traditionnelle », elle a une personnalité sonore bien à elle qui reste encore bien différente des canons traditionnels. J'ai fait tester ce modèle à deux guitaristes professionnels qui possèdent une Taylor (l'une de 2010, et l'autre de 1995) et leur avis est unanime sur la personnalité propre à cette marque que l'on retrouve sur cette nouvelle 614ce.
Depuis que le luthier Andy Powers a rejoint l'équipe Taylor, on ne peut qu'applaudir des deux mains les évolutions apportées aux nouvelles séries tout en respectant la personnalité de la marque.

Pour 3 199€ TTC (prix public constaté), livré avec étui, Taylor nous propose un modèle haut de gamme doté d'une lutherie irréprochable, d'un système embarqué et de nouvelles sonorités tout en préservant la personnalité Taylor.

A ce jour, voici les modèles disponibles dans cette série 600 : Grand Orcherstra 618e - Grand Symphony 616ce / 656ce - Grand Concert 612ce / 612ce 12-fre

Descriptif :
Shape Grand Auditorium
Price $3,998
Number of Strings 6
Back/Side Wood Maple
Scale length 25-1/2"
Top Wood Torrefied Sitka
Body Length 20"
Electronics Expression System 2®
Body Width 16"
Cutaway Venetian
Body Depth 4 5/8"
Nut & Saddle Tusq Nut/Micarta Saddle
Neck Width 1-3/4"
Neck/Heel Hard Rock Maple
Bracing Advanced Performance with Relief Rout
Fretboard Wood Ebony
Fretboard Inlay Grained Ivoroid Wings
Headstock Overlay Ebony
Binding Ebony
Bridge Inlay None
Bridge Pins Ebony
Tuners Taylor Nickel
Truss Rod Cover Ebony
Back/Side Finish Gloss 3.5
Top Finish Gloss 3.5
Neck Finish Satin
Pickguard Striped Ebony
Case Taylor Deluxe Hardshell Brown
Number of Frets 20
Armrest Binding None
Back Config 2-piece No Wedge
Backstrap Wood Ebony with Inlay
Backstrap Finish Gloss
Brand of Strings Elixir Phosphor Bronze HD Light
Buttons Nickel
Edge Trim None
Fingerboard Ext None
Fretboard Binding Ebony
Heel Cap Binding Ebony
Heel length 3-1/2"
Peghead Finish Gloss
Peghead Inlay Grained Ivoroid Wings
Peghead Binding Ebony
Peghead Logo Grained Ivoroid
Peghead Type Standard
Rosette Mat. Ebony/Grained Ivoroid/Abalone
Rosette Size Single Ring
Stain/Sunburst Brown Sugar
Type of Neck Joint Scarf
Wedge None

 

 
Test de la Taylor 614ce