Le sujet que j'aborde aujourd'hui sur la Plek machine que vient de recevoir le luthier Alexandre Bouyssou dans sons atelier d'Orsay, est particulièrement intéressant sur la réalité et l'avenir du métier d'artisan luthier au 21ème siècle et de ses moyens de production.

La Plek Basic 1.01

La Plek est une machine assistée par ordinateur qui réalise automatiquement une "planimétrie" des frettes (fret dressing).

Présentée pour la première fois au Musikmesse de Francfort en 2000, le modèle initial nommé "plek basic" fut exposé au Namm en 2001 et vendu la même année. En 2004, toujours au NAMM, une seconde machine voit le jour : "la plek pro".
La version actuelle, la "plek pro/sts" a été lancée en 2006.

Les fidèles de laguitare.com ont pu découvrir cette petite révolution dans l'industrie de la guitare dans le reportage consacré à Warwick en 2007.

Photos ci-dessus de gauche à droite : 1 et 2 : dernière plek station en date, 3 : première version, 4 : plek de l'atelier d'Alexandre

Formation d'un luthier

Sans parler des machines classiques utilisées dans pratiquement tous les ateliers de lutherie comme la scie à ruban, la scie circulaire, la calibreuse, la perceuse à colonne etc.., on imagine ou on attend d'un artisan qu'il réalise à la main toutes les tâches inhérentes à sa profession, sans l'aide d'engins habituellement utilisées dans l'industrie de la guitare.

Cependant, on est en droit de se demander si certaines étapes dans la fabrication artisanale d'un instrument ne peuvent pas être optimisées par la machine qui réduit le temps passé par le luthier sans pour cela dévaloriser son travail, d’autant que certaines phases demandent une précision telle que seul un outil mécanisé peut les réaliser parfaitement.


A l'image de l'école de lutherie de Newark en Angleterre où l'enseignement est basé sur le tout fait main, il est nécessaire pour un futur luthier pendant sa formation, d’apprendre toutes les étapes de fabrication avec le moins d’instruments industrialisés possible afin d'acquérir toutes les bases indispensables à la pratique artisanale de son métier.

Prenons l'exemple qui nous intéresse ici et qui concerne la planimétrie des frettes d'un manche de guitare. Si l'on forme un luthier à utiliser une machine qui réalise cette tâche sans qu'il ait préalablement appris à le faire de A à Z correctement à la main, il délègue de fait son savoir-faire à une machine et ne possède donc pas la technique et les connaissances pour l'appliquer sans l'aide de cet outil mécanique.

Par contre, comme c'est le cas pour Alexandre et Benoît de l'Atelier d'Alexandre, si l'artisan confirmé realise depuis des années ce genre de réglage à la main, Il saura exactement quoi attendre de la machine, ce qu'elle doit faire et ne pas faire.

Débat

Après quelques recherches sur internet, je suis tombé sur un sujet posté sur le Forum du luthier Benoît de Bretagne dans lequel ce denrier liste les éléments nécessaires pour réaliser une planimétrie. Il doute qu'une machine puisse prendre en compte tous ces paramètres. J'ai demandé à Alexandre Bouyssou de répondre à chaque point exposé par Benoît. Vous pouvez retrouver ceci en fin d'article mais en attendant voyons ensemble, dans le détail comment se gère une telle mécanique !
"Planimétrie", "fret dressing" qu'est-ce que c'est ?

Les frettes (alliage de cuivre zinc et nickel) ne sont pas éternelles et s'usent plus ou moins vite en fonction de l'utilisation de votre guitare. De plus, le matériau utilisé n'a pas été choisi pour résister particulièrement à l'usure et si on commence à voir dans les ateliers de luthiers de nouvelles générations de frettes beaucoup plus résistantes, une rectification de celles-ci sera certes moins systématique mais toujours nécessaire.

Sur la photo ci-contre, on remarque l'état avancé de l'usure des frettes qui mériteraient ici d'être changées. Lorsque elle est moins importante, la conséquence première est le phénomène de la corde qui frise et des bends qui s'étouffent.

Pour régler ce problème, il suffit de rectifier l'ensemble du plan de frettes (en les ponçant) de façon à l'avoir le plus droit possible.

Ensuite, on reforme les frettes une à une de façon à ce qu'elles retrouvent leur forme arrondie (important pour la précision des notes et leur justesse). Cette pratique, qui sera différente pour chaque frette, va bien sûr en diminuer l'épaisseur et donc modifier l'action des cordes et l'alignement des différentes frettes entre elles par rapport au radius du manche.

Il sera  alors nécessaire de procéder à un réajustement global sur tout le manche.
Tout machine ? ou homme + machine ?

Croire que la machine va tout faire à votre place est bien évidemment un leurre. L'acquisition d'une plek est avant tout un investissement en argent mais aussi en temps. Une formation est nécessaire pour piloter un tel engin car il ne faut pas oublier qu'il s'agit ici d'une machine à usiner commandée par un ordinateur.

Etape 1 : Préparation de l'instrument

La première étape est manuelle et consiste à régler correctement le manche de la guitare à l'aide du trussroad. Il faut alors installer l'instrument sur le stand qui ira ensuite se fixer sur la plek (photo en bas à droite). Les premiers réglages précis commencent et le luthier devra les respecter à la lettre. Mise à niveau du corps et alignement du manche de la guitare sur le support (photo en bas à gauche).
Etape 2 : Saisie des paramètres

Un engin piloté par ordinateur fera ce que ce dernier lui ordonnera de faire et celui-ci le fera en fonction des instructions que le luthier va lui donner. La machine (bien réglée) a une marge d'erreur très faible, un ordinateur également. Il est donc capital de donner les informations le plus précisément possible.

Commence alors la saisie des données d'identification qui permettra d'archiver le profil de l'instrument. Des mesures très très fines sont demandées, comme le diamètre des cordes, la largeur des frettes, la distance entre le sillet de tête et la première frette, etc...
Alexandre et Benoît utilisent pour cela un pied à coulisse numérique précis au centième de millimètre.

Quand tout est rentré dans l'ordinateur, la plek est prête pour ses premières analyses de mesures.
Etape 3 : Définition du profil actuel et du profil idéal

La première analyse de la plek est réalisée avec la guitare sous tension des cordes. Un "doigt capteur" en contact avec la touche et les frettes, vient scanner tout le manche et analyse également l'action des cordes. (Voir photos ci-dessous).

Ces premières mesures vont permettre à l'ordinateur d'enregistrer l'état initial du profil des frettes et de dresser un état des lieux très précis.  
(Les photos ci-dessous représentent la corde de Mi aigu).

L'analyse terminée, Benoît affiche sur l'écran de l'ordinateur le paysage du manche, frette par frette, corde par corde avec deux courbes. Celle de l'état actuel (rouge) et celle de l'état proposé par le programme informatique (verte et bleue).

Les deux courbes générales rouge et verte montrent qu'il y a de la matière à enlever sur le bas du manche.

Sur la photo de droite, l'analyse est plus détaillée, nous pouvons constater que les dernières frettes peuvent être généreusement poncées (là où la courbe rouge est au dessus de la courbe bleue).

Sur une autre corde et sur un autre plan (photos ci-dessous), on constate le contraire : la courbe verte est au dessus de la courbe rouge. Ce qui veut dire qu'en fonction des autres sommets de frettes inférieures à la 20ème, celle-ci et les deux suivantes manquent de matière pour arriver à la courbe idéale. Il faut donc descendre cette courbe, ce qui impliquera ques des frettes plus hautes dans le manche devront être rognées.

Benoît indique à l'ordinateur de remonter cette courbe afin qu'elle s'ajuste en tous points à la rouge en passant les valeurs négatives en valeurs positives.

En fonction de la géographie du profil du manche, cette courbe s'adapte afin d'optimiser le ponçage avec pour objectif premier d'enlever le moins possible de matière aux frettes. (Voir en dernière page de l'article les impressions écrans de toutes les cordes)

Etape 4 : Ponçage et polissage des frettes

Lorsque la saisie du profil idéal est terminée pour toutes les cordes, elles sont enlevées et le ponçage des frettes commence.

La plek est équipée de deux roues. Une pierre à poncer, assez souple afin de ne pas agresser les frettes, vient enlever la matière à l'endroit précis déterminé par le profil de l'ordinateur. Elle travaille sur la frette, mais aussi dessus et dessous (voir les trois photos ci-dessous).
Quand la plek a terminé son premier ponçage sur toutes les frettes, elle scanne à nouveau la touche (cordes montées) afin de constater le travail effectué. Une valeur est alors calculée et tant que celle-ci n'est pas inférieure à 20, la plek réitère l'étape 4.

La deuxième roue réalise le travail de polissage après le ponçage.

La durée de cette étape varie entre 1h15 et 3h00 en fonction du travail à réaliser sur les frettes. Pendant que la machine travaille, le luthier peut donc consacrer son temps à autre chose.

Etape 5 : Finition et réglages

Lorsque l'étape de polissage est terminée, la guitare n'est pas encore prête à l'emploi. Il reste au luthier à peaufiner le polissage et à effectuer les derniers réglages du manche et pour le cas d'une électrique (comme ici) à revoir pontet par pontet, l'ajustement pour chaque corde. Compter 30 mn pour cette dernière étape.

Comme vous pouvez le constater sur les vidéos, le résultat est digne d'un travail soigné, professionnel et prècis.

La machine travaille t-elle mieux que l'homme ?

Sans aller jusque là, je dirais qu'elle prendra en compte certains paramètres de manière plus précise afin d'obtenir un résultat global plus homogène. L'intervention manuelle passera sans doute à côté de certains petits détails, ce qui ne sera pas le cas d'un engin assisté par ordinateur. Pour prendre un exemple, la plek travaille au niveau de chaque corde sur la même frette soit en 6 points différents. Difficile de réaliser cette tâche à la main. Par contre, il est capital de bien programmer l'ordinateur en étant le plus précis possible dans les données à saisir, au risque d'obtenir un résultat peu satisfaisant.

Coût d'une intervention à la plek


Une planimétrie manuelle est réalisée en moyenne en 2h30 et coûte 160 € dans l'atelier d'Alexandre. Avec la plek (+ interventions manuelles avant et après le passage à la machine) il faut compter entre 2h00 et 4h30. L'Atelier d'Alexandre offre le même tarif, 160 € pendant la première année. Il passera ensuite à 200 €. Profitez-en !

De plus, une remise de 15 % est gracieusement offerte pendant 1 mois, du 27 février au 27 mars, aux guitaristes qui se présenteront avec ce bon (à télécharger et à éditer).
Débat entre luthiers

Comme je vous le disais en introduction, voici les propos du luthier Benoît de Bretagne provenant de son forum avec les réponses d'Alexandre Bouyssou. On peut aussi retrouver certaines réponses dans l'article et les vidéos :

Benoît de Bretagne : "... le réglage d'un manche dépend de tant de choses, est-ce que cela prend en compte tant de variables ?"
Alexandre Bouyssou : Effectivement et c'est pour cela qu'elle est fantastique, mais attention elle ne remplace pas la main de l'homme pour tout !

Benoît de Bretagne : le diamètre de la corde ?
Alexandre Bouyssou : Si, elle le prend en compte et c'est même très important.

Benoît de Bretagne : la tension des cordes ?
Alexandre Bouyssou : Egalement.

Benoît de Bretagne : le matériau des cordes ? (certains sont plus flexibles, encore plus entre les marques et leur fabrication d'âme, filetage...)
Alexandre Bouyssou : Non, mais un grand nombre sont dans les paramètres de la machine et elle teste la flexibilité de la corde lors du "scan". Par contre, cela ne peut pas fonctionner avec des cordes nylon.

Benoît de Bretagne : l'accordage : les open tunings... le seul fait d'être accordé 10 à 15 hertz en dessous d'un standard peut donner de légères frizettes par rapport à un accordage tip top 440Hrz.
Alexandre Bouyssou : Alors là, c'est un peu flou... Soit la guitare est dédiée à un open, dans ce cas on la "plek" avec cet accordage. Soit elle est désaccordée de temps en temps et là elle est réglée avec son accordage standard. Mais l'accordage impeccable est requis pour qu'elle puisse bien analyser la flexion du manche que ce soit en 440,441,442 Hrz etc...

Benoît de Bretagne : le diapason ? (cela change beaucoup pour l'oscillation d'une corde),
Alexandre Bouyssou : Elle le calcule en "scannant"la guitare.

Benoît de Bretagne : le profil de la frette ? (la corde doit reposer sur le sommet de la frette, plusieurs profils existent)
Alexandre Bouyssou : Idem. Lorsqu'elle usine les frettes, elle les arrondie pour que la corde ne touche qu'un point de la frette.

Benoît de Bretagne : la largeur de la frette ?
Alexandre Bouyssou : On la mesure au pied à coulisse et on rentre ça dans les paramètres de la machine.

Benoît de Bretagne : la hauteur de la frette ? (frettes trop basses = trop souvent des frizettes)
Alexandre Bouyssou : Elle la calcule en "scannant" la guitare, mais si on a pas assez de hauteur de frettes au début du "Plekage", elle ne peut pas travailler et nous prévient. Minimum de frette = 0,8 mm.

Benoît de Bretagne : le renversement du manche ? donc pression sur la corde,
Alexandre Bouyssou : Non... mais elle teste la pression donc... De plus, je ne vois pas trop en quoi cela affecte une planification des frettes.

Benoît de Bretagne : le bon angle (+ ou moins élevé) devant et derrière les sillets ?
Alexandre Bouyssou : Quand je fais une planification des frettes manuelle, la pression derrière les sillets m'importe assez peu.

Benoît de Bretagne : la réaction du manche (bois) sous tension de cordes peut être + ou moins grande, ici, c'est rectifié sans tension, ce qui demande souvent la nécessité de faire des rectifs partielles sous tension afin d'éliminer les dernières frizettes.
Un manche est rectifié sans tension de corde, on vérifie cette précision au 50eme de millimètre, souvent on mesure même leur hauteur/régularité au pied à coulisse précis au 100eme!! Tout est parfait, quand vous remettez sous tension, légères frizettes, donc il faut peaufiner, aller encore plus loin.
Alexandre Bouyssou : Le manche est rectifié sans les cordes parce que sinon "bonjour le carnage" !. Mais lorsque la machine analyse le manche ( courbure, état de la touche, état et hauteur des frettes etc...) il est sous tension. Elle enregistre donc ces paramètres. Ce qui lui permet de travailler correctement une fois que le manche n'est plus sous tension.
De plus, elle travaille exactement au niveau de chaque corde sur la même frette soit en 6 points différents. Comment faire aussi précis à la main ?

Benoît de Bretagne : avoir des frettes 100% bien fixes, si elles bougent lors de l'usinage
Alexandre Bouyssou : D'accord mais lorsqu'on le fait à la main elle doivent être également fixe à 100% ! Vérification avant !

Benoît de Bretagne : réaction du truss rod (où commence le truss rod ? début de touche, milieu de 1ere case) ?
Alexandre Bouyssou : Grâce aux courbes d'analyses, la réaction du truss rod est bien plus visible. Lorsqu'il ne fonctionne pas de façon optimale la machine usinera les frettes en compensant ces défauts.

Benoît de Bretagne : réaction de la table d'harmonie
Alexandre Bouyssou : ?!?! L'analyse est faite sous tension des cordes, donc la réaction de la table d'harmonie est "comprise" dans cette analyse.

Benoît de Bretagne : réaction parfois étranges des points les plus flexibles du manche : entre tête et talon manche/bloc interne
Alexandre Bouyssou : Idem

Benoît de Bretagne : le degrè de réglage voulu par le client ! (ex: pour François Sciortino qui attaque bien, je règle sa guitare folk mi grave à la 12eme haut de la frette au dessus de la corde à 1,9mm, la mi aigue 1,75mm), sillet de tête hyper bas, sans frise !
Alexandre Bouyssou : Absolument ! Mais là encore, ce sont des paramètres de jeu que l'on prend en compte dans le réglage de départ et surtout dans le réglage final.Comme pour tout client. De plus, chaque guitare "Plekées" est enregistrée et les réglages qui vont avec.

Benoît de Bretagne : pourquoi les grandes marques citées utilisant la plek, envoient des guitares en France avec des guitares aux cordes hautes, et sur lesquelles nous devons repasser pour affiner action, hauteur de frettes, justesse... ?
Alexandre Bouyssou : Toutes les guitares que j'ai eues entre les mains et qui ont été "Plekées" avaient un confort de jeu optimum.
Pour Martin&Co, ils ne peuvent pas passer 500 guitares par jour avec 2 machines à l'usine. Il faut compter environ 3/4 d'heure par guitare au minimun (NDLR avec la nouvelle version de la pleck). On est loin des 500. Mais certaines sont passées d'office. Je crois que maintenant ils le spécifient.
Pourquoi des maisons comme Santa Cruz, Collings ont commandé cette machine ?
Probablement qu'elle doit faire un travail "correct" car l'investissement est trop important pour avoir un travail "juste" équivalent à celui de la main de l'homme.

Benoît de Bretagne : selon moi, rectifier correctement c'est une suite de vérifications, actions et retouches. Seule une compréhension de l'instrument, de ses réactions, du toucher peut donner un résultat optimal !
On est pas loin de 10 refrettages/rectifs à l'atelier cette semaine, je peux vous assurer que c'est du cas par cas !
Celui qui assure que c'est une simple opération ne doit pas pousser le détail au maximum !
Alexandre Bouyssou : Complètement d'accord mais aux risques de me répéter, la guitare est analysée avant, et surtout réglée après!
Il n'est pas question de remplacer l'humain, mais tailler des frettes à longueur de journées n'est pas très gratifiant, surtout qu'il n'y a pas de doute, elle le fait mieux que nous.
Je préfère que l'on se concentre sur des opérations qui ne peuvent être faites que par la main du luthier (Neck reset, taille des barrages, fipos, têtes fracturées.....etc).

Benoît de Bretagne : seules marques tip top en réglages: Taylor, PRS, Vigier, j'aimerais constater leurs exigences et le temps passé aux finitions/réglages par rapport aux autres grandes marques!"
Alexandre Bouyssou : Heu... je veux bien aussi ! La vraie énigme, c'est GIBSON car ils ont une PLEK !

Conclusion, chaque guitare fait l'objet d'une analyse complète et d'un réglage personnalisé. Comme à la main. Car chaque guitare est unique !
Alexandre Bouyssou nous présente la Plek Station

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