Vendredi
soir sur la lune...
La petite salle des fêtes de Castelmaurou n'est pas pleine, la "machine
à fumée" a noyé la scène dans un léger
brouillard, les lumières éclairent faiblement le public... l'atmosphère
un peu moite est plus proche de celle d'un pub que d'une salle de concert. Après
trois titres du chanteur Cali, venu présenter sa guitare faite par Claude
Fouquet, c'est finalement vers 21h30 que Pierre Bensusan arrive sur scène. Il semble à
l'aise, s'assied puis refait le nud du lacet de sa chaussure droite... Petit
gag discret ou geste naturel ? Peu importe... Le fait est que, finalement, on
va parcourir un sacré bout de chemin sur ses traces.
L'écoute de son avant-dernier album ( Intuite ) constitue certes un choc
musical, mais, confortablement assis dans un bon fauteuil, on oublie facilement
qu'il s'agit d'un homme seul avec une guitare. Cette fois il est là, devant
nous, et ceux qui veulent regarder « comment il fait » en ont
le souffle coupé. Il repousse toujours plus loin les limites de la
guitare grâce à une maîtrise de l'instrument hors du commun.
Tant d'adresse aurait pu s'avérer vaine, mais, fort heureusement pour nous,
il n'est pas seulement un instrumentiste exceptionnel mais aussi et surtout un
compositeur talentueux et un interprète sensible , délicat, raffiné.
Les défis techniques quil relève devant nous étaient
seulement indispensables... Sa capacité à nous entraîner par
sa musique vers d'autres lieux et d'autres musiques est unique. Il ne cherche
pas à reproduire, il évoque avec justesse. On y retrouve la musique
celtique, bien sûr, mais aussi la salsa, la samba, la musique berbère,
la nouba arabo-andalouse, etc. ...
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Cet éternel
jeune homme, espiègle et rêveur, continue, pour notre plus grand
plaisir, à explorer l'univers et nous guide. Il nous ouvre d'innombrables
portes, nous montre chaque nouveau paysage le temps de susciter de nouvelles envies,
de nouvelles joies puis nous entraîne à nouveau, encore plus
loin... Et lon a plaisir à le suivre ainsi passant de mélodies
virevoltantes et finement brodées à des boucles rythmiques enivrantes.
« Evocation » est un mot « clé » ... Pierre Bensusan
évoque pour nous les musiques qui l'ont marqué. C'est particulièrement
net lorsqu'il nous interprète un long « medley » de son répertoire
«celtique ». Il ne joue pas des extraits de ses pièces anciennes
mais les évoque tour à tour en insistant sur certains thèmes,
et ceux qui ne connaissaient pas son "voyage pour l'Irlande" ou sa "Marche
du sonneur égaré" (de l'album Musiques ) n'en ont qu'une idée,
encore un peu vague... Juste de quoi donner envie de découvrir. Les
pièces qu'il nous interprète sont variées tant dans la forme
que dans les climats et pourtant, pas de doute, ce style est reconnaissable entre
mille. Mêlée à toutes ces couleurs il en est une autre, parfois
très discrète, mais si particulière et toujours présente,
... la sienne. Cest lors de moments « plus calmes », lorsquil
nous offre un de ses « ballades » aériennes, que ce style si
personnel se dévoile. En dépit de la vigueur de son jeu, on ne sens
aucun tumulte intérieur mais il y a cependant quelque chose dincantatoire
dans cette musique. Les musiques traditionnelles de tout horizon quil
convoquent devant nous ont cette particularité : le musicien, possédé
par un dieu ombrageux, doit sabandonner pour retrouver la paix intérieure
et donner. Curieux mélange de zen et de vaudou...
Sous ses doigts, la guitare se métamorphose pour explorer les timbres,
les sons, les couleurs. Ai-je enten-du un oud ? plus loin une kora ? ...
De tels effets sont parfois obtenus au prix de prouesses instrumentales incroyables
mais il n'y a aucune « frime », il fait ce qu'il faut pour obtenir
ce qui convient et l'on est sous le charme, surpris d'entendre.
Pierre Bensusan aime bien les histoires alors , pour présenter ces pièces,
il raconte, fort bien. Cela nous rassure de constater quil sagit bel
et bien dun humain standard qui peut plaisanter et parler avec simplicité
des choses qui le touchent. A la fin de certains morceaux, il nous demande «ça
vous a plu ?»... Une fois il insiste «Vraiment ? c'est pas pour me
faire plaisir ?» Il semble peu probable qu'il s'agisse là d'une «coquetterie»,
ces questions arrivent après des pièces «plus atypiques
que la moyenne». ... Veut-il simplement vérifier que nous sommes
bien là, avec lui ? Quelle question... On suit, bien sûr, haletants
mais heureux...
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Il aime aussi chanter,
avec ou sans mots et là encore il est particulièrement doué
pour lexercice et chante dun façon inimitable... Le chant doit
être servi par un accompagnement qui met en valeur la mélodie (et
le texte éventuel) et non pas l'instrument alors l'instrumentiste surdoué
s'efface avec délicatesse... A l'occasion d'une bossa-nova envoûtante
il nous offre ainsi un numéro de "scat" particulièrement
époustouflant. Un peu plus tard, Il nous fait découvrir une des
perles de son dernier album ( Altiplanos ) : sa version du célèbre
poème «Demain dès l'aube...» de Victor Hugo (Les
contemplations).
Enfin, Pierre Bensusan aime les rencontres, sa carrière en témoigne.
Tout naturellement, il invitera tout d'abord sur scène Eric Sauviat
qui, avec sa guitare électrique, ajoutera avec modestie et précision
une mélodie aérienne. A la fin du concert, Michel Haumont,
qui lui aussi sait créer des atmosphères variées avec
deux mains et une guitare, le rejoindra pour deux morceaux. Finalement Eric Sauviat
reviendra et ils seront trois sur scène pour clôturer ce concert
mémorable. Il est plus de
minuit lorsque la salle séclaire. Les chaises se vident lentement
mais les yeux brillent de ce bonheur indéfinissable volé au temps
et l'on sent bien que le retour sur terre devra être très progressif.
Les discussions à voix basses sont assez plates : on peine à trouver
les mots qui conviendraient.
Un moment rare, hors du temps, inoubliable, par un artiste particulièrement
attachant.
Hubert
Bayet - Photos de MOHA-AVIFS (06.22.63.26.31)
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Lire les impressions des
membres de l'équipe d'issoudun sur ce concert
- Lire la chronique
du dernier album de Pierre Bensusan "Altiplanos"
- Le
site web de Pierre Bensusan
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