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BOOKMAKERS
Patrick MOULOU
INTERVIEW
Interview

Après un parcours riche en expériences multiples (musicien professionnel, gérant de magasin d’instruments, rédacteur en chef de magazines musicaux – il est l’un des créateurs/fondateurs des mythiques Magazines Keyboards et Guitarist -, professeur de guitare, auteur et Directeur de Collections pédagogiques…), c'est en 1993 que Patrick Moulou fonde la société Bookmakers, spécialisée dans l’édition et la production d’ouvrages musicaux. En quelques années, il est devenu le numéro un incontesté de la musique imprimée et les songbooks qu’il produit et les ouvrages pédagogiques qu’il signe ou dirige se vendent dans le monde entier (plus d’un million d’exemplaires à ce jour !). Ce spécialiste de la méthode et du songbook en France a gardé intacte sa foi envers son métier et les musiciens. Qualité, curiosité et authenticité sont ses marques de fabrique...

D'après vous, d'où vient cet intérêt ces dernières années pour les songbooks ?

P.M : Du succès de la musique vivante et de la qualité des songbooks qui a considérablement évoluée. Voir des gens jouer donne envie de chanter, d’apprendre ou de jouer d’un instrument. Comme vous le savez, le marché du disque est en pleine déconfiture et les Majors sont quelque peu dépassées et ne savent pas comment faire face à cette situation qui se dégrade d’année en année. Donc le mot d'ordre est maintenant de faire entrer un maximum de cash et développer toutes les niches qui sont susceptibles d’apporter de la trésorerie. Le songbook fait partie de cette niche. Mais les Majors se trompent… le songbook n’est, dans les trois quarts des cas, pas rentable si on le veut de qualité… C’est surtout en terme d’image auprès de leurs artistes que le songbook est primordial. La partition a longtemps été le parent pauvre de l’édition musicale et il s’est publié un peu tout et n’importe quoi depuis des années. Maintenant, grâce à différents producteurs, dont je fais partie, les artistes veulent non seulement de beaux ouvrages qui correspondent à leurs univers artistiques mais surtout ils veulent des recueils avec des partitions justes – ce qui n’est pas encore toujours le cas - qui correspondent exactement à ce qui est enregistré sur leur disque.


Comment en êtes-vous venu à concevoir des songbooks?

P.M.: En fait je produis les songbooks que j’aimerais acheter. J’ai trop souvent acheté par le passé, des recueils à l’esthétisme soviétique dont les partitions étaient fausses avec des diagrammes de guitare injouables. Donc j'ai décidé de les produire moi-même. Mais réaliser et produire un songbook de qualité, beau avec des partitions justes demande du temps, de la passion et surtout la connaissance de plusieurs métiers. Je maîtrise tout de A à Z : de l’idée jusqu’à la livraison du produit fini.


Comment faites-vous un songbook?

P.M : Ma curiosité et mon métier (ma société est aussi leader dans la prestation musicale et nous effectuons les relevés musicaux pour de très nombreux éditeurs de musique) m'amènent à écouter beaucoup de musique et donc à être au courant des nouveautés. Quand j’ai le coup de cœur pour un artiste et que je pense qu’un songbook peut correspondre à une demande, je sonde mes différents distributeurs afin de voir s'ils sont intéressés par un songbook de cet artiste. Si je trouve preneur, j’établis un planning et je mets la machine en route afin de le sortir le plus rapidement possible afin de coller à l’actualité musicale de l’artiste. Depuis déjà plusieurs années, j’ai un réseau professionnel suffisamment important pour que les choses se passent assez facilement (cela dépend des dossiers et du nombre d’éditeurs identifiés pour chaque titre du songbook). Mais il ne suffit pas de connaître tous les éditeurs de chaque chanson, il faut aussi dealer les droits des visuels, de l’artwork, obtenir l’accord des différents intervenants : manager, directeur artistique, récupérer les partitions, vérifier si elles sont justes, vérifier les paroles, etc. Nous apportons un soin particulier à l’environnement graphique afin qu’il corresponde exactement à celui du CD dont le songbook se réfère. Comme j’ai travaillé dans la presse, je suis sensible au graphisme et à la typo, je m’occupe personnellement, et avec grand plaisir, de la conception et de la mise en page de l’ouvrage. Nous sommes une petite équipe très efficace et rapide dont le rôle de chacun est bien défini : l’un va s’occuper de la vérification des relevés et de la vérification des paroles, l’autre de la cohérence de la partie claviers, l’autre de la correction orthographique et de la typo … Je pense que nous sommes les seuls en France, et peut-être en Europe, à pouvoir sortir des songbooks aussi rapidement. Je viens de les produire en à peine trois semaines ! Et le tout avec l’édition de deux BAT, la validation d’un ozalid/imprimeur et celui d’un Bon A Brocher.
J’ai institué une relation de confiance avec mes distributeurs (il y en a trois sérieux en France : Carisch-Musicom, ID Music et surtout Paul Beuscher/Lemoine avec qui je travaille depuis de nombreuses années) et je pré-vends tous mes ouvrages. Je ne fais jamais un recueil si je ne l’ai pas prévendu.
Mes distributeurs s’engagent sur un tirage et un calendrier de paiement et moi je m’engage à sortir le plus rapidement possible un songbook de grande qualité.


Pour en revenir aux accords de guitare (diagrammes), quelles différences existent entre vos songbooks et ceux des autres producteurs ?

P.M. : C’est simple, tous les diagrammes d’accords pour guitare contenus dans mes songbooks sont fabriqués un par un et correspondent exactement à ce que jouent les artistes. Étant guitariste moi-même, je rencontre à chaque fois l’artiste en question et je note ses positions (ce que j’ai fais pour M, Carla Bruni, Pauline Croze, Rose, Elodie Frégé, Bernard Lavilliers, etc.). S'il est impossible de le rencontrer, pour différentes raisons (artiste en tournée, en promo intensive…), j’ai une équipe de musiciens dont beaucoup ont l’oreille absolue, ce qui permet de déchiffrer de façon chirurgicale ce qui est joué. Mes concurrents se contentent d’inclure les positions d’accords générées par le logiciel de saisies musicales qu’ils utilisent… ce qui donnent des choses souvent incohérentes au niveau de la gestuelle guitaristique et injouables… j’ai récemment vu dans des ouvrages consacrés à Brassens, des positions que Brassens n’a jamais utilisées… c’est vraiment dommage. Un accord de Sol en bas du manche, ne sonne pas de la même façon qu’un barré en troisième position… mais il faut être guitariste pour s’en rendre compte et surtout avoir à cœur de réaliser des ouvrages de qualité… Actuellement je peaufine les deux premiers volumes de l’intégrale Michel Berger et nous avons tout ré-écouté, tout redéchiffré et j’ai construit chaque diagramme de guitare en essayant de coller le plus possible aux accords du piano ; ce qui nécessite souvent l’utilisation du capodastre car les tonalités piano ne sont souvent pas celles les plus facilement jouables à la guitare. Mais je suis assez fier du résultat, car avec l’utilisation des accords sur basses on obtient des voicings très intéressants et qui collent parfaitement aux harmonies…


Comment choisissez-vous les artistes?

P.M.: C'est en fonction de l'actualité et de mes goûts personnels… mais je traite chaque artiste de la même façon : de Keziah Jones à Django Reinhardt en passant par Patrick Sébastien ou Franck Michael, tous mes songbooks sont imprimés sur du papier ivoire anti-reflet, les partitions sont vérifiées et les couvertures sont toujours en double ou triple finition (pelliculage mat, vernis brillant en réserve et parfois gaufrage). Souvent j’ai un sixième sens et je sens ce qui va fonctionner. C'était typique avec Carla Bruni. Dès que j'ai entendu « Quelqu'un m'a dit », j'ai su que cela marcherait. La musique était élégante et facile à jouer (donc accessible au plus grand nombre), les mélodies efficaces et les textes de grande qualité. Très vite, j'ai pris contact avec son producteur. Il était plutôt mitigé car le disque venait de sortir et n’avait pas encore trouvé son public. Mon distributeur habituel n’était pas chaud, les représentants et les renvendeurs ne voulaient même pas entendre parler du songbook…(car ces derniers achètent ferme les songbooks, il n’y a pas de système de retour comme dans le livre traditionnel…) mais pas la chanteuse… J’ai tapé du poing sur la table et j’ai insisté pour le sortir quand même avec un premier tirage standard. En fin de compte, mon insistance m'a donné raison puisqu'on en a vendu plus de douze mille exemplaires. Ce qui est énorme pour de la musique imprimée et surtout pour une nouvelle chanteuse ! La vente moyenne d'un songbook bestseller est d'environ mille exemplaires par an.


Où peut-on se procurer les songbooks ?

P.M. : Dans toutes les librairies musicales, mais aussi dans les grandes surfaces comme Leclerc, Cultura, Milonga, et les Fnac et Virgin selon les régions… et aussi sur les sites spécialisés sur le net : Di-Arezzo, Musicroom, etc.

Et aussi dans les magasins de musique ?

P.M. : Oui, si les magasins de musique possèdent un département ou un corner partitions, ce qui est loin d'être systématique. Beaucoup de magasins en province ne vendent pas de partitions faute de place car Il faut des bacs pour les présenter, il faut se tenir au courant des nouveautés, etc


Grâce à vos songbooks, on a la chance de jouer des morceaux très actuels.

P.M. : Oui, je pense car nous sommes souvent en parfaite synchro avec l’actualité (je sors très souvent le songbook en même temps que le CD. Je viens par exemple de sortir le songbook de Christophe Willem, de Céline Dion, de Christophe Maé, d’Elodie Frégé, de Rose, etc.). Ma force c’est la qualité et le temps de réaction.
Comme je vous le disais tout à l’heure, tous mes ouvrages sont imprimés sur du papier Minotaure ivoir 120 gr. anti-reflet idéal pour les musiciens. De plus, il a de la main, est très opaque et donne des excellents résultats en quadri. Mais ce papier est très cher (deux fois le prix d’un papier blanc de qualité à grammage équivalent). Idem pour les couvertures. Mes couvertures se reconnaissent immédiatement, car elles présentent toujours une double ou une triple finition : le fond est pelliculé mat et il y un vernis brillant sélectif sur certains éléments. Et pour M ou Keziah Jones je me suis fait plaisir en incluant aussi un gauffrage ! J'essaie toujours de faire de très beaux songbooks mais dont le prix reste accessible au plus grand nombre (les prix de base varient de 20 à 25 euros pour les songbooks standards) et dont le contenu s’adresse à la fois aux musiciens mais aussi aux gens qui veulent simplement chanter les paroles, aux fans qui veulent trouver des photos inédites, des illustrations, des anecdotes, des écrits mains des artistes... D’une façon générale, les artistes sont ravis de ce que je leur propose et s’investissent dans le projet. À chaque fois, je trouve des astuces de mises en page, des petites idées pratiques ou sympas afin de toujours progresser et proposer au public des ouvrages innovants et de qualité. Le public s’est maintenant habitué et certains afficionados achètent systématiquement tous les ouvrages que je produis…


Avez-vous beaucoup de concurrents dans ce secteur très spécialisé ?

P.M. Quelques uns… et je suis souvent copié – mais c’est plutôt un gage de qualité et de réussite, non ?
Mais je suis assez confiant quand je vois ce qu’ils sortent. Et puis vous savez, il ne suffit pas de mettre quelques photos couleurs pour que le recueil soit beau et de qualité… Il faut de la passion, du goût et une conscience professionnelle aiguë pour faire ce métier… et pas mal de ces qualités leur font défaut. Mais le plus grand danger, c’est la volonté de certains éditeurs d’augmenter les droits de reproduction graphique. Ils sont pour l’instant de 15% du prix de vente public Hors Taxes (ce qui est déjà énorme et représente la plus grosse part du budget de production d’un songbook), alors qu’ils plafonnent à 12%, pour un auteur reconnu dans le secteur du livre traditionnel… et certains éditeurs veulent les passer à 20%, ce qui sera la mort du songbook de qualité. Pour mes ouvrages, le taux raisonnable est de 10% étant donné la qualité du produit…Comme Universal Music Publishing vient de racheter BMG Music Publishing, si Universal décide de passer à 20, tous les autres suivront… Et malheureusement certains de mes concurrents acceptent déjà de payer ce taux en croyant me mettre des bâtons dans les roues, mais ils scient la branche sur laquelle ils sont perchés…


En fait vous avez donné un vrai coup de jeune au marché de la partition. Avant, le choix était très restreint entre les classiques des Beatles et d' Eric Clapton, on ne trouvait pas grand chose…

P.M. : Oui, c’est vrai et on trouvait surtout des ouvrages en import, de piètre qualité et à des prix exorbitants. Maintenant le choix est plus vaste… et j’y ai un peu participé. Et je ne produis pas que des artistes reconnus. J’aime bien m’enthousiasmer pour des artistes en devenir : c’est comme ça que j’ai produis les songbooks d’Anis, de Pauline Croze, Mademoiselle K, Pleymo, Sergent Garcia, Eiffel, Keren Ann, Adrienne Pauly, Anaïs, etc.


Quels problèmes rencontrez-vous aujourd’hui pour produire vos ouvrages ?

P.M. : À part mon inquiétude concernant les royalties, c’est la piètre qualité des partitions fournies par la plupart des éditeurs alors qu’ils se doivent de fournir des partitions irréprochables qui correspondent à ce qui est enregistré sur le support audio. Cela nous oblige à tout redéchiffrer afin d’offrir au public des ouvrages de qualité constante. Cela vient du fait qu’il y a beaucoup d’incompétents dans ceux qui réalisent les partitions. Les éditeurs, toujours soucieux des problèmes économiques, achètent des prestations musicales au rabais et rien n’est vérifié… Comme souvent les artistes ou les éditeurs ne savent pas lire la musique, cela donne quelquefois des résultats catastrophiques… Mais c’est un mauvais calcul, car des partitions justes et un songbook de qualité participent de la bonne image de l’éditeur et de l’artiste. Et plus les artistes sont contents, moins les éditeurs ont de problèmes… Quelques bons éditeurs avec qui on travaille l’ont compris et c’est tant mieux.

Il y a aussi les problèmes des droits des visuels… Avant, la maison de disques achetait les droits des photos pour des destinations multiples : CD, presse, promo, produits dérivés… Maintenant, étant donné l’anémie du marché du disque, on dépense le moins possible en achetant les droits juste pour le CD et la presse/promo… Quand on arrive ensuite pour demander les visuels pour le songbook, il faut dealer directement avec soit les photographes en direct, soit avec leurs agents. Et c’est quelquefois très sportif ! Puis viennent les problème du prix du papier (j’en achète 80 tonnes par an !), de la difficulté d’obtenir les autorisations de reproduction graphique dû au turn-over incessant du personnel chez les éditeurs (fusion, licenciements, etc.)… Vous voyez, il y a de quoi s’occuper quand on produit un songbook !


Est-il toujours aisé d’entendre et de déchiffrer les parties guitare ?

P.M. : Oh que non ! Nous avons passé plus d’un an, à plusieurs guitaristes, sur le songbook de Keziah Jones pour mettre en tablatures ses morceaux. Idem pour l’intégrale des thèmes composés par Django Reinhardt que je viens de sortir. La guitare est un formidable instrument polyphonique mais dont chaque accord peut se jouer de façons différentes et avec des accordages différents ! (open tuning). De plus, si on met du chorus ou un flanger ou si le son de la guitare est saturé, ou perdu dans le mix’, les difficultés s’accumulent. Une fois j’étais persuadé que l’artiste utilisait un capo sur un morceau alors qu’il était tout simplement accordé un ton plus bas et jouait en positions standards. Mais le son de la guitare était tellement derrière que je n’arrivais pas à le déterminer… il a fallu que je vois cet artiste jouer sa chanson dans un clip pour que je comprenne son truc… Tout cela demande du travail, de l’oreille et du temps. Mais cela participe à la qualité du livre.


Les songbooks réalisés à l'étranger sont-ils de bonne qualité ?

P.M. : Non, ils sont souvent moins beaux et moins bien conçus. J'ai sorti une compilation best of sur la Tamla Motown alors qu’il en existe des dizaines aux Etats-Unis. Mon songbook était tellement bien réalisé que les Américains voulaient l'importer. Ils ont été totalement surpris par sa qualité et que cela soit une petite société française qui l’avait produit. Même chose pour l’intégrale des thèmes de Django Reinhardt qui est très vite devenu un best seller mondial (on en a vendu plus de six mille copies en moins d’un an, ce qui est énorme pour un ouvrage de 250 pages à 39 euros).


Votre démarche de rencontrer chaque artiste participe à la qualité des songbooks...

P.M. : C’est évident. Et c’est parce que je n’ai aucun autre intérêt que de valoriser au mieux leurs œuvres, alors ils me font confiance. Et je tisse parfois, avec certains, des relations d’amitié… C’est le cas pour M et son père Louis Chedid, ou Etienne Daho, Stephan Eicher, etc.


Vous pourriez ne pas rencontrer systématiquement les artistes, étant vous même un grand guitariste en vous appuyant sur vos connaissances…

P.M. : Chaque guitariste utilise ses propres positions quelque soit son niveau. Keren Ann, Pauline Croze, Romain Humeau, Carla Bruni, M, Louis Chedid, Raphaël… ont tous leur catalogue perso de positions qui participe de leur son et de leur signature artistique. C’est toujours un plaisir de découvrir l’univers d’un artiste, la façon dont il appréhende son instrument… et parfois cela donne d’heureux hasards… comme j’ai signé beaucoup de méthodes d’apprentissage pour différents instruments, lorsque j’ai rencontré Pauline Croze pour noter ses positions, elle m’a appris qu’elle avait appris ses premiers accords avec une de mes méthodes…


Quels sont vos projets dans un avenir proche ?

P.M. : Comme je vous le disais tout à l’heure, les deux premiers volumes de l’intégrale Michel Berger, l’intégrale Téléphone, l’intégrale Jacques Brel… le tout entrecoupé de songbooks « standards » comme celui de Gregory Lemarchal, dont la plupart des participants acceptent de diminuer leurs marges afin de le verser à l’Association Gregory Lemarchal destinée à lutter contre la mucoviscidose, celui d’Amel Bent, le nouveau Bernard Lavilliers et de nouvelles collections pédagogiques très innovantes sous mon nom…

Propos recueillis par Emmanuelle Libert le 20/08/2007

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